Prix de thèse AGRH et ANDESE décernés à Emilie POLI

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Prix de thèse AGRH

INTERVIEW | Emilie POLI, enseignante en management à l’INSEEC Grande École Bordeaux.

Sa thèse de Doctorat en Sciences de gestion encadrée par le professeur Gilles Arnaud de l’ESCP “De l’entreprise libérée à la « libération créative » : Analyse processuelle de deux cas contrastés et proposition d’un modèle conceptuel” a été retenue pour obtenir le prix AGRH Didier Retour. Le jury a estimé que son travail était particulièrement riche du point de vue de ses implications managériales et a souhaité le récompenser par l’intermédiaire de ce prix, destiné à valoriser les recherches présentant un intérêt pratique marqué.

Emilie, pouvez-vous nous expliquer ce que récompense le prix de thèse AGRH ?

Comme l’explique l’association AGRH (Association francophone de Gestion des Ressources Humaines), le prix AGRH Didier Retour récompense la thèse qui, au-delà des critères d’exigence académique, propose des implications managériales particulièrement riches et pertinentes. Ce prix met en lumière les recherches qui constituent un apport important pour l’entreprise et la communauté des praticiens, et dont les enjeux sont liés à la fonction RH.

Ce prix met en valeur vos travaux qui concernent l’entreprise libérée, vous y évoquez à la fois la libération créative et l’entreprise libérée. Que faut-il comprendre de ces deux notions sur lesquelles nous projetons beaucoup de fantasmes ?

Ce concept d’Entreprise Libérée (EL), initialement formalisé par Isaac Getz (2009), et popularisé par son ouvrage (Carney & Getz, 2012) est en effet devenu une source d’inspiration pour de nombreuses entreprises. Il s’agit d’un ensemble de principes managériaux et organisationnels, remettant en cause la structure hiérarchique et misant sur la confiance et la responsabilité.

Le concept véhicule des promesses (performance, créativité, engagement, bien-être…) qui résonnent avec les grands défis contemporains que ces dernières ont à relever : innovation, attractivité, fidélisation des salariés, nouvelles attentes sociétales… Mais si l’EL libère d’abord l’imaginaire des dirigeants séduits, les travaux empiriques montrent que son implémentation est délicate, complexe, et implique une transformation culturelle profonde. Ainsi, de nombreux écueils ont pu être observés : instrumentalisation, désengagement ou surengagement, sentiment d’abandon, perte de repères, burn-out, départ…

L’objectif de ma thèse était de mettre à l’épreuve le concept d’EL sur le plan de la créativité. Il s’agissait de comprendre comment le processus de libération se déployait dans le temps et quels pouvaient être les mécanismes liés aux déterminants de la créativité et au processus créatif.

J’ai pu observer deux cas singuliers et passionnants de libération : l’un dans un département d’un grand groupe d’électronique et l’autre dans une PME de service numérique. La comparaison de ces deux études de cas, à travers une analyse processuelle, met en évidence l’importance de la redistribution des rôles de leadership dans le maintien des conditions d’émergence de la créativité.
Ces résultats ont permis de faire émerger un modèle conceptuel de « libération créative » et le concept de « dispositif distributif », permettant de concevoir une organisation sur mesure. Ce modèle suggère que les écueils trop souvent observés pourraient être le résultat d’ « impensés » organisationnels, et ces deux outils conceptuels laissent entrevoir des perspectives tout à fait intéressantes en termes de recherche-intervention. Ce travail de thèse a donc vocation à accompagner les dirigeants dans leur réflexion concernant la transformation de leur organisation, dans une perspective et la fois humaniste et stratégique.

Quelles sont les entreprises qui, d’après vous, peuvent mettre en œuvre les principes de l’entreprise libérée ou de la libération créative ?

Les promoteurs du concept vous répondront que le concept a été déployé avec succès dans des entreprises de toutes tailles, de tous secteurs, quand d’autres observateurs vous diront que seules des entreprises de petite taille peuvent raisonnablement envisager une libération. Il est vrai que des entreprises comme Gore (12 000 employés) ou Zappos (1500 salariés) se sont affranchies du principe de hiérarchie managériale, mais ces cas sont exceptionnels, tant les conditions à réunir semblent à la fois nombreuses et complexes. Mais ces conditions ne semblent finalement pas tenir tant à la taille ou au secteur de l’entreprise (ou en tous cas les travaux quantitatifs permettant de conclure sont inexistants), mais davantage au processus de mise en œuvre de la libération. La volonté du dirigeant et son adhésion sans réserve aux principes culturels qui sous-tendent le concept est un prérequis indispensable.

Ensuite, les nouveaux principes d’organisation sont d’autant mieux acceptés et adoptés qu’ils émergent d’une réflexion collective, tenant compte des besoins concrets de l’activité. Enfin, la transformation, voire la suppression du lien hiérarchique n’est pas à prendre à la légère, et des incompréhensions peuvent surgir lorsqu’elle reste ambiguë, voire tacite, notamment au niveau des ex-managers.

Quant aux conditions de la « libération créative », c’est à dire celles menant au développement de la capacité créative de l’organisation, les leaders libérateurs, et tous les nouveaux leaders de l’organisation doivent veiller à maintenir un équilibre fragile entre les 3 niveaux de leadership : moteur (au niveau organisationnel), catalyseur (au niveau collectif), et de soutien (au niveaux individuel). Le premier permet d’encourager la créativité au plus haut niveau vers une vision mettant l’innovation au centre, le second permet de stimuler les débats d’idées fertiles, et des interactions sociales riches, et le dernier s’assure de maintenir la motivation intrinsèque, facteur essentiel de la créativité individuelle.

En effet la libération d’entreprise, bien que basée sur un principe de base, la suppression des structures hiérarchiques, est un processus contingent, qui devrait être abordé sous un angle pragmatiste, partant des besoins, afin d’éviter tout dogmatisme, pouvant entrainer des rigidités organisationnelles, nuisant paradoxalement à la capacité de l’entreprise à s’adapter à son environnement et au bien-être des salariés.

Prix de thèse ANDESE

La thèse d’Emilie POLI a également obtenu la mention d’honneur lors du Prix de thèse ANDESE 2023 – Sciences Economiques et Sciences de Gestion. Cette cérémonie, s’est déroulée sous le Haut Patronage de Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau. Etaient également présents Gérard Bekerman, Président de l’Afer, Daniel Bretonès, Président de l’ANDESE et le Professeur Jean-François Lemoine, Président de Jury.


Références

  • Carney, B. M., & Getz, I. (2012). Liberté & cie : Quand la liberté des salariés fait le bonheur des entreprises. Fayard.
  • Getz, I. (2009). Liberating leadership : How the initiative-freeing radical organizational form has been successfully adopted. California Management Review, 51(4), 32‑58.
  • Poli, E. (2022). De l’entreprise libérée à la « libération créative » : Analyse processuelle de deux cas contrastés et proposition d’un modèle conceptuel [Thèse de doctorat en Sciences de Gestion]. Paris 1 Panthéon Sorbonne.
Mis à jour le 25 janvier 2024